Encore une histoire de tradition et de convivialité
Chez nous en Bretagne, nous avons certaines habitudes culinaires, dont celle de faire des crêpes.
Les crêpes nous rassemblent, elles nous rendent joyeux, car c’est la convivialité qui domine. Et en plus, c’est bon, pas besoin de la chandeleur pour en profiter. Vous serez d’accord avec moi que les techniques pour arriver à ses fins sont abondantes, à la poêle ou à la crêpière communément appelée Billig…
Elles touchent à la gourmandise et à l’art culinaire. En 2015, elles font même débat pour être inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. La pâte est simple et rapide à faire, un peu de farine de blé noir et un peu d’eau. Des légumes, du fromage, des épices, on peut préparer à peu près n’importe quoi à mettre dedans…
Personnellement, je ne connais pas grand monde qui refuserait une bonne crêpe pour dîner. Une forestière à base de champignons, d’épinards, la classique complète ou bien soyons fou une crêpe flambée chocolat banane en dessert. Les combos gastronomiques sont innombrables.
Je préfère multiplier le nombre d’ingrédients, et les disposer en petite quantité, que la faire déborder de garniture ne permettant pas une présentation correcte.
Mais ça, ça dépend de chacun.
C’est vrai que faire des crêpes reviens pour nous plus de la tradition régionale locale (oui, j’aime bien les traditions.) ! C’est plutôt convivial et chacun peut s’aventurer à tourner, le « rosel » sert à ça.
Dans la littérature, on trouve des milliers d’ouvrages traitant des différentes recettes de pâte, de garnitures.
Un œil énergétique globalisé
Ne nous égarons pas et revenons au sujet qui nous intéresse !
La fonction première d’un bâtiment est d’assurer un ou plusieurs services. Dans la construction, il existe une multitude de service comme par exemple dormir, travailler ou manger. Le service rendu ne doit pas nuire au bon confort des locaux, sinon il aurait un effet négatif sur la conception même de sa fonction première. On pourrait alors se poser la question de l’efficacité…
Dans la confection de crêpes, nous pouvons avoir un regard plus modéré lors d’événement exceptionnel (ou des festnoz voir cet article), mais lorsque cela devient une habitude, cela peut être plus problématique.
Pour faire des crêpes nous servons de l’outil idéal, une plaque en fonte d’une célèbre marque. Ce n’est pas la consommation électrique qui nous intéresse ici. Mais l’apport de chaleur émit cet appareil qui est extrêmement conséquent.
Dans les années 90, pas de problème, mais à notre époque avec nos bâtiments très étanches et très isolés. On peut se demander quelle serait la température résultante dans une telle maison ? Si cet appareil est-il compatible avec les exigences énergétiques des bâtiments passifs ?
Une compatibilité à toute épreuve ? Vraiment ?
Certes, le bâtiment passif (norme PHI) demande très peu d’énergie pour le chauffage, ainsi comme le demande ce standard, le besoin de chaleur doit être inférieur à 15 kWh/m².an. Ce concept est, je dois dire assez génial sur le papier. J’espère en reparler prochainement, dans la vraie vie, il reste plus compliqué.
Pour fonctionner, la maison passive (PHI) doit être constamment maintenue à 20°C en hiver. Cependant, dans la réalité, des consignes de températures supérieurs ou peuvent être observé dans les campagnes de mesures.
Contrairement à certaines idées reçues, il y a toujours du chauffage en fonctionnement, pour maintenir une consigne élevée de 20°C. Même lorsque nous sommes absents !
Ce concept ne fonctionne pas à 21°C, sinon il y aurait des surconsommations énergétiques. Il ne fonctionne pas non plus en laissant chuter la température quotidiennement, sous penne de ne pas avoir assez de puissance pour le réchauffer et mettre plusieurs jours pour relancer la machine.
C’est donc dans cet environnement que nous installons notre galetière. Vous pensez bien que pendant le repas, en partant d’une température de 20 °C, nous aurons un peu chaud. Mais dans quelle mesure ? N’y aurait-il pas une sorte de gaspillage énergétique ?
La puissance de chauffage que demande un bâtiment passif est d’environ 10 W/m². Or, pour un séjour/cuisine de 50 m², cet appareil représente un apport de puissance d’environ 60 W/m². Vous voyez donc le décalage.
L’énergie se diffuse, et dans la dynamique, on peut se demander quel serai l’impact sur les locaux adjacents ?
Pas d’autre choix que de nous tourner vers quelques simulations. Et pour répondre à cette question, nous nous aiderons des équations de la chaleur.
Un petit exemple de cartographie énergétique
Pour poser le problème, il faut prendre quelques hypothèses et procéder à une cartographie énergétique complète. Une crêpière d’une certaine marque réputée à une puissance d’environ 3000W. Elle a donc une consommation d’énergie de 3000 Wh. La température de surface de la plaque atteint idéalement 200°C.
On va compter 2 crêpes salées par personnes (ou galettes pour les non-Finistèrien) pour une crêpe dessert. C’est un repas hebdomadaire pour une famille de 4 personnes. Cela nous fait donc une bonne douzaine de crêpes. Il faut donc compter environ 1h pour assurer l’ensemble du service.
Nous considérons seulement le système crêpière/bâtiment, toutes les autres hypothèses intervenant dans cet exercice sont considérées négligeables (l’apport par les personnes, l’impact de la préparation des ingrédients…).
C’est donc une cartographie énergétique relativement « alléger » de notre problème.
Un relevé expérimental
La courbe ci-dessous nous montre un relevé de température effectué par un simple thermomètre infrarouge. C’est la température de surface de la plaque.
Notre cas d’étude est donc posé. Vous voyez qu’avec la forte inertie de la plaque en fonte, l’énergie totale émise dans le local est très nettement supérieure à 3kWh. Impossible de considérer seulement une heure de service et négliger la montée et la chute de température qui se produisent sur un temps de plus de 4h. Souvenez-vous que notre problème concerne la réaction et surtout la montée en température des pièces d’un bâtiment performant. Nous pouvons décomposer le phénomène en 3 phases (comme je l’ai déjà évoqué dans cet article):
Phase 1 : la plaque est à une température initiale de 20°C. On considère un régime transitoire. Elle met dix minutes pour atteindre la température de cuisson de 200°C. L’émission dans le local est donc donnée par la formule de la conservation de l’énergie :
Phase 2 : hormis les gouttes de sueurs dégagées par le cuistot (qui elles sont négligées). Les légères variations de température de la plaque en régime permanent sont également négligées. Notamment, lorsque l’on coule une louche de pâte fraîche, il n’y a pas d’autres flux énergétiques considérés. Donc nous pouvons assimiler la phase de cuisson à un régime stationnaire durant une heure. L’appareil est à son fonctionnement nominal en consommant 3kWh électriques final.
Phase 3 : c’est la chute de température. Le service est terminé et l’appareil est éteint. La température émise dans le local dépend directement des caractéristiques physiques de la plaque, notamment l’inertie du matériau. Cette phase est de forme décroissance exponentielle. Elle se refroidit naturellement, elle est seulement soumise à un flux de convection h comme le démontre la formule de fourrier :
Petite mise en pratique
Il n’existe pas de fonction billig dans ces outils de calcul. Nous ne pouvons pas (encore) renseigner les usages spécifiques de façon classique. Pour renseigner sur un logiciel de simulation l’apport introduit dans la pièce lors d’un tel repas, nous utilisons ce qu’on appelle un scénario de puissance dissipé. Celui-ci est fixé heure par heure.
Dans notre cas, j’ai considéré un scénario de 4h pour toute la durée de l’opération. Pour quelques simplifications, la première phase qui dure normalement dix minutes, sera rapportée sur la première heure. Et la dernière phase sur 2h.
A la toute fin de l’événement, la température de la plaque est proche de la température initiale. L’énergie résultante apportée au local est alors très faible et considérée comme négligeable. Il est donc essentiel de considérer une limite temporelle de fin d’événement où nous négligeons les derniers états résiduels. D’ailleurs, la température finale de 20°C n’est jamais atteinte en théorie.
La conservation de l’énergie nous renseigne sur l’énergie émise lors de la première phase en rapportant la valeur sur une heure :
Qémis = temps * P/3600
Q = 600 secondes * 3000W/3600 secondes = 500 W
La cuisson en phase 2 est considérée constante avec 3 kWh durant une heure.
Avec la phase 3, la chute de température suit une loi exponentielle qui dépend de la masse (la plaque fait près de 19 kg!). Nous obtenons donc le scénario d’apport à injecter dans notre outil de calcul :
Ça passe ou ça casse !
En comparaison d’une construction d’un bâtiment et d’un test grandeur nature, la simulation ne coûte presque rien. Le fait de se rendre contre d’une certaine compatibilité ou non est tout à fait à notre portée.
Maintenant que nous avons toutes les clés du problème. Il nous faut donc produire deux cas de simulation : avec ou sans crêpière. Et simplement comparer les résultats entre eux pour avoir notre réponse.
Étant donné que notre cas d’étude est conçu selon le standard passif. Il est très bien isolé, comporte du triple vitrage et aucun pont thermique (Psi<0.01W/m.K). Nous obtenons les deux courbes suivantes :
La courbe orange est constante à une consigne de 20°C, elle correspond à un scénario témoin ou le bâtiment est utilisé sans apport. Il n’est soumis à aucun repas de crêpes, sans aucune sollicitation (ni même les personnes habitantes). La courbe bleue est la résultante de la température dans le séjour comportant des apports internes liés à la plaque. Nous visualisons bien le décalage dans le temps selon les cas.
Le scénario initial d’apport interne à une durée de 4h. Soyons honnête, la première et les deux dernières heures ne sont pas celles qui impactent le plus. Seule l’heure de cuisson a énormément d’influence sur notre local.
Le pic de température provoqué par ce repas atteint 25°C. Ce qu’il est important de noter, c’est que pour une heure de service, la température intérieure de la pièce revient à son état d’origine après 6h. C’est considérable ! Si cette situation peut exister dans la réalité, l’utilisateur n’aura pas d’autre choix que d’ouvrir la fenêtre pour atténuer cette très forte sollicitation.
Est-ce qu’un gaspillage énergétique est produit à ce moment ?
A vous de juger
L’observation qu’on peut retirer de cette petite expérience, c’est qu’en partant d’un certain niveau de température (ici 20°C), nous aurons forcément un impact important. Il est donc possible de partir d’une température plus basse pour tirer le meilleur parti de l’utilisation du service rendu. Une situation permettant d’assurer le confort de l’utilisateur en cumulant les services énergétiques, et en réalisant d’importantes économies d’énergie sur le chauffage. Surtout si dans ce cas et comme dans la majorité des maison, avant 18h la pièce reste inoccupée. Inutile d’assurer 20°C dans une pièce inoccupée.
L’usage d’un billig comme chauffage permettrait alors de substituer à un chauffage conventionnel, et d’assurer le confort en assurant un repas sans avoir trop chaud. Nous voyons bien que la multiplication des services entraîne ici un couple bâtiment/usage important.
L’impact au niveau des autres locaux adjacents (chambres) est négligeable voir nul en hiver (toujours dans une situation de 20°C).
Des crêpes en été ?
Un constat plus marquant peut être observé en été, pour la même simulation d’apport interne sur le mois de juin nous obtenons les courbes suivantes.
La température extérieure (représentée par la courbe rouge) est plus élevée. Cette ondulatoire entraîne une résonance à l’intérieur. Juste à cause d’un repas le premier jour, la température intérieure revient à la normale après trois jours ! Ce constat en est presque amusant (il n’y a peut-être que moi que ça amuse).
Au mois de juin, il n’y a pas de chauffage. Le pic lié à un tel repas atteint les 27,5°C. Encore une fois, ce cas d’école nous permet de nous rendre compte de l’impact de nos actes, et ils sont loin d’être négligeables sur l’environnement proche.
L’impact au niveau des chambres de l’étage peu se vérifier également. Comme il s’agit d’une maison en bois, il est très réactif, car il n’a que très peu d’inertie.
De nombreux paramètres pourraient être étudiés ici, comme l’inertie de la maison, la qualité du renouvellement d’air ou même l’ouverture d’une fenêtre au niveau du séjour…
Un service plus long
Allez pour le fun, je regarde le temps de cuisson. Dans le cas où nous recevons des invités, deux douzaines de crêpes sont nécessaires, le temps de cuisson est donc de 3h au lieu de 1h. Nous voyons l’impact ci-dessous avec la courbe verte.
L’augmentation de température s’effectue donc sur une période de 13h au lieu de 6h au paravent. Il est presque doublé, et le pic atteint maintenant 29°C.
La première heure, les 3 kW introduits dans la pièce ont une pente identique à la courbe bleue. La deuxième heure, bien qu’on injecte la même quantité d’énergie dans le local, la pente est plus faible. La troisième heure, la pente est encore plus faibles. Cela s’explique par le niveau de température obtenu. Dans ces conditions à puissance apportée équivalente, plus le temps sera long, plus l’impact d’une sera faible.
Nous voyons ici un des gros points de difficulté de l’énergie du monde réel. Une certaine forme de résistance du local par rapport à la puissance injectée. Une accumulation faisant diminuer l’impact de l’apport dans le temps.
Il y a donc une relation très intime de l’évolution de la température dans l’espace-temps. Encore une fois, le service à rendre peut avoir un impact très fort sur le confort intérieur des locaux.
Des crêpes au gaspillage énergétique
L’avantage de la simulation dynamique est bien l’évolutivité des paramètres que nous pouvons lui renseigner. Nous pouvons faire tout évoluer à la foi ou bien faire bouger seulement quelques curseurs pour en retirer le meilleur.
Il n’existe pas beaucoup de méthode permettant d’estimer ou de vérifier l’impact de telles conditions de vie. L’énergie consommée par les appareils électriques se dissipe toujours dans la pièce où ils sont utilisés.
Cet appareil pris indépendamment du reste est assez simple à étudier. Il s’agit simplement d’un appareil résistif absorbant la totalité de l’énergie. Le flux électrique est directement converti en flux de chaleur, il est d’abord stocké dans la plaque, puis se dissipe dans le local.
Dans de telles conditions, il serait préférable d’ouvrir les fenêtres même en hiver (je ne parle pas ici des vapeurs sournoises qui peuvent également être nocives.). Ce constat peut donc être très problématique par rapport à un fonctionnement qu’on avait prévu en conception.
De plus, l’effet n’est pas instantané, mais bien temporel. Dès l’or que nous pensons commencer à préparer le repas, une réaction en chaîne se déroule comme vous avez l’habitude de le faire. Elle entraîne indubitablement le rejet des précieuses calories par la fenêtre.
Vous voyez bien ici, que nos comportements influencent énormément les performances. Pour maintenir un certain confort de rafraîchissement un courant d’air pourrait être la solution. Mais on pourrait procéder de la même façon pour la chaleur. Il est nécessaire d’intervenir intelligemment dans cette situation précise pour assurer notre confort. L’anticipation est notre amie.
Le choix d’étude sur un bâtiment très performant permet de s’abstenir d’autres évolutions parasites. Vous imaginez bien que dans un bâtiment plus classique des années 90. La température résultante sera plus faible. Cependant, pour pallier l’inconfort généré, il faudra avoir un système de régulation du chauffage particulièrement performant.
Des accumulations énergétiques
La notion fondamentale que nous montre cet exercice est bien le niveau de température atteint en fonction du niveau de puissance émis, un exemple qui peut vraiment se produire en réalité.
Avec 3 kW d’apport de chaleur, nous visualisons qu’en très peu de temps, une élévation de température se produit dans le bâtiment, et donc qu’une situation d’inconfort peut être générée.
Vous pouvez imaginer la difficulté que peut engendrer un appareil de chauffage avec un fonctionnement similaire, je pense bien sûr aux poêles à bois dimensionnés n’importe comment.
Pour aller vers plus de performance énergétique, comme il n’est pas possible de limiter par des textes réglementaires ce genre de soirées gustatives. Il est tout à fait possible d’utiliser l’énergie au plus juste et de cumuler les effets pour en tirer le meilleur compromis.
La norme passiv haus ne prévois pas ce genre de cas. Or, c’est pourtant une situation fondamentale qui arrive dans presque tous les foyers. Dans les cuisines possédant un four notamment.
Dans une bonne conception, le chauffage doit être estimé en dernier, après avoir passé en revue tous les autres services énergétiques, de cette façon, nous évitons les gaspillages.